Antoinette Spaak

Antoinette Spaak (membre du comité d’honneur de la S€D) est décédée ce vendredi 28 août. Née à Etterbeek le 27 juin 1928, elle s’est éteinte chez elle, à l’âge de 92 ans.
Avec Antoinette Spaak disparaît une des dernières figures majeures de la politique belge de ce dernier demi-siècle.
Un témoin sans conteste très engagé dans l’évolution institutionnelle belge mais également européenne dont elle fut aussi par héritage familial, une actrice de pointe.
En outre, elle joua aussi un rôle important dans la reconnaissance de l’égalité entre hommes et femmes, particulièrement dans les milieux politiques, réputés très machistes.
C’est qu’Antoinette Spaak était une féministe convaincue. Bon sang ne pouvait mentir car sa grand-mère paternelle Marie Spaak-Janson, fille de l’homme d’Etat libéral Paul Janson et sœur d’un autre grand élu bleu”, Paul-Emile Janson fut la première femme parlementaire en Belgique… Cooptée d’abord, il faut bien le dire !
En même temps, Antoinette Spaak poursuivit avec une grande détermination les engagements politiques de son père, à la fois sur le plan politique national et au niveau européen, s’y imposant également comme une grande militante en siégeant de 1979 à 1984 et de 1994 à 1999 au Parlement européen.
Mais sur le plan belgo-belge, elle innova en étant la première femme à présider un parti politique. Elle dirigea en effet le FDF de 1977 à 1982. Soit à un moment-clé de l’évolution de cette formation alors essentiellement bruxelloise lorsque, vu sa représentativité, le Front démocratique des Francophones fut associé à la transformation de la Belgique unitaire dite de papa en un Etat de plus en plus fédéral.
En fait, Antoinette Spaak s’inscrivit sans réserve dans le cheminement politique final de son géniteur qui à la fin de sa vie quitta le Parti socialiste et épousa pleinement la cause fédéraliste francophone. Celle du FDF-RW qui avait le vent en poupe depuis l’expulsion de la section francophone de l’Université catholique de Louvain en février 1968. Antoinette se retrouva non seulement pleinement dans Les yeux qui s’ouvrent, une fameuse tribune libre de son père parue dans Le Soir mais s’inscrivit aussi dans son sillage après un discours de son père, digne de ses meilleures prises de parole qui fit date sous le chapiteau du cirque Bouglione en novembre 1971. L’appui au combat fédéraliste se traduisit aussi par un engagement plus direct encore aux élections de mars 1974, après la mort de son père.
Cette fois Antoinette fut élue à la Chambre, adoubée elle aussi au sein du FDF, plus particulièrement par Lucien Outers et André Lagasse, proches de sa mouvance chrétienne et de Rénovation wallonne alors qu’on l’eût plutôt vue aux côtés de l’aile ex-socialiste du FDF incarnée par Léon Defosset, par exemple. Une proximité qui n’empêcherait pas la nouvelle élue de rappeler ses racines nullement catholiques et sans concessions de libre penseuse agnostique proche de l’athéisme… comme elle se présenta en 2001 sur le plateau de Noms de dieux face à Edmond Blattchen.
 
Première présidente de parti belge
Du reste, Antoinette Spaak devint une mandataire FDF idéale en devenant aussi la première femme présidente de ce parti ainsi que présidente d’un parti belge tout court en 1977.
A ce titre, elle participa très activement aux grands dialogues de communauté à communauté et donc aux accords du Pacte d’Egmont et du Stuyvenberg et aux réformes de l’Etat qui en découlèrent. Avec la conviction que s’il fallait aller le plus loin possible pour les francophones, il s’imposait également de ne jamais oublier l’analyse flamande. Sur ce terrain, elle fut aussi proche que Lucien Outers d’Hugo Schiltz, le leader de la Volksunie qui l’ouvrit à une réelle compréhension de l’évolution des esprits nordistes. En même temps, il fallut tenir compte des contorsions à répétition du CVP, plus qu’à son tour tjevenpartij et notamment du premier ministre Tindemans.
L’expulsion du FDF jamais digérée
Ce ne fut pas la seule couleuvre à avaler. En janvier 1980, le FDF qui participait au premier gouvernement de Wilfried Martens en fut quasiment éjecté. Près de 40 ans après, Antoinette Spaak eut encore bien du mal à digérer cet événement qui parut injuste face aux tergiversations de ce qu’on appelait alors l’Etat-CVP…
Mais la présidente du FDF s’enhardit et monta aussi sur les barricades. Ainsi toujours pendant ce funeste début d’année 1980, nous la retrouvâmes avec l’état-major de son parti sur les chemins des Fourons lors de certaines manifestations où les francophones durent affronter à la fois les nervis flamingants et des gendarmes prêts à matraquer y compris des élus…
Par la suite, Antoinette Spaak qui n’avait pas froid aux yeux, au point de remettre à leur place des homologues présidents de partis trop convaincus de leurs supériorité masculine continua à suivre les développements politiques belges tout en s’investissant dans la politique européenne.
Ministre d’Etat, jamais ministre seulement
Si elle devint tout logiquement ministre d’Etat dès 1983, elle ne serait jamais ministre tout court. Mais cela ne l’empêcha de présider le Parlement de la Communauté française, très attachée à la culture française mais en même temps très ouverte sur le reste du monde. Elle fut aussi un moteur de la fédération FDF-PRL-MCC aux côtés de Jean Gol.

Elle s’impliqua aussi sans compter pour mettre en exergue le rôle de Paul-Henri Spaak. Si elle suivit de près le développement de la Fondation éponyme, elle tenait aussi beaucoup à associer au rôle européen de son père d’autres acteurs belges issus des autres familles politiques.
Du Quirinal à l’Academia…
On évoquera ici un fameux colloque organisé les 10 et 11 mai 2007 à l’Academia Belgica de Rome.
Il n’y eut pas de plus belle opportunité pour Michel DumoulinVincent Dujardin et Geneviève Duchenne et toute une équipe de chercheurs de nos principales universités de rappeler pour le cinquantenaire de la création de l’Union européenne, le rôle joué par Spaak mais aussi par Jean Rey et Jean-Charles Snoy et d’Oppuers. Notamment à travers le témoignage de leurs descendants dont, bien entendu, Antoinette Spaak, rayonnante alors dans la Ville éternelle…
Ces dernières années, après avoir encore été élue comme parlementaire régionale bruxelloise en 2009, Antoinette Spaak avait décidé de mettre de l’ordre dans ses souvenirs. Ce qui déboucha sur un intéressant ouvrage publié en 2016 aux Editions Racine avec notre collègue Francis Van de Woestyne, alors rédac-chef de La Libre.
L’occasion de faire le point sur sa vie et sur celle des siens. Un moment idoine aussi pour rappeler ses convictions républicaines. Même si elle y confirma partager de longue date la vie d’Etienne Davignon qui avait travaillé directement avec Paul-Henri.
Si elle ne manquait jamais de préciser que le Roi et son père s’étaient affrontés durement pendant la Question royale, elle ajoutait quand même que Léopold III était intervenu directement en faveur de la libération de sa mère emprisonnée par les Allemands. Et elle nous rappelait qu’elle était elle aussi réaliste et donc légaliste. Dans la droite ligne de son géniteur qui montra aussi plus qu’à son tour qu’il se devait de garder son libre-arbitre, n’en déplaise aux apparatchiks des partis…
Christian Laporte, Collaborateur historique et culturel (La Libre Belgique du 29 août 2020)
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