Roger Coekelbergs

 

Le samedi 20 février 2021 était le jour du 100ème anniversaire du membre le plus âgé de la Société européenne de défense AISBL (S€D), le professeur émérite Roger baron Coekelbergs.

Comme il avait réservé à sa famille le week-end des 20 et 21 février, il m’avait fixé rendez-vous le vendredi 19 pour recevoir les félicitations de la S€D et de la Royale Union des Services de Renseignement et d’action (RUSRA) – section “Région de Bruxelles-Capitale”.
Malheureusement, le jeudi 18 il a fait une chute à son domicile, qui a occasionné un traumatisme crânien. Hospitalisé à l’hôpital Saint-Luc, à Bruxelles, il n’a guère repris conscience et il s’est éteint la nuit du 3 au 4 mars. Je n’ai malheureusement rien pu faire de plus pour lui que de soutenir moralement le mieux possible son épouse Esther.
Roger est né à Mons le 20/02/1921. Après des humanités classiques au collège jésuite Saint Stanislas à Mons, en 1939, il se classe en ordre utile à l’examen-concours d’admission à l’École royale militaire (ERM), pour la 85ème promotion Infanterie et Cavalerie.
Prisonnier de guerre en Allemagne après la campagne du 10 au 28 mai 1940, Roger s’évade en décembre 1940 et rentre en Belgique, juché sur la cargaison d’un camion de pommes de terre. Dès janvier 1941, il adhère aux services de Renseignement et d’Action, réseau Luc. Il s’inscrit à l’Université catholique de Louvain (UCL) en chimie, physique et médecine, pour échapper au travail obligatoire en Allemagne et cacher son appartenance à la Résistance. Celle-ci l’éloigne très souvent des laboratoires, mais le professeur Pierre Bruylants veille à ce qu’il garde son statut d’étudiant jusqu’à la Libération.
En août 1941, sans lien avec le réseau Luc, Roger et 6 amis (d’où l’appellation des 7 de Mons), “cassent la gueule”comme disait Roger, de quelques collaborateurs rexistes défilant sur la Grand-Place de Mons après leur engagement dans la Légion SS-Wallonie. Arrêtés, les 7 sont enfermés au fort de Breendonk sous le statut “Nacht und Nebel”. Par chance, ils n’y subissent les sévices, les travaux forcés inhumains et la famine que pendant un mois, grâce à l’intervention des familles auprès de la Kommandantur. La photo prise peu après leur sortie du fort montre 4 rescapés et deux compagnes, Roger est le troisième à partir de la droite. Les épreuves subies pendant deux ans ont buriné son visage.
 
Ce statut “Nacht und Nebel – Nuit et brouillard” a paradoxalement protégé Roger: c’est pendant cette période que les nazis ont arrêté une bonne partie des membres du réseau Luc. Ils n’ont pas pensé à aller le chercher à Breendonk, les prisonniers sous ce statut n’étaient répertoriés qu’au fort.
Libéré, Roger a relancé le réseau Luc en province du Hainaut sous le nom Marc, pour tromper l’ennemi. A la Libération, il a été reconnu par la Sûreté de l’État, avec le grade de capitaine agent de renseignement et d’action (ARA). Il s’est engagé dans la 4ème Brigade d’infanterie belge et envoyé en Allemagne. Rappelé en 1946 à l’ERM, il y a terminé ses études et il y est devenu répétiteur (assistant en langage civil) en chimie générale. Il a obtenu, à l’UCL, en 1947, une licence en sciences chimiques. En 1951, il est devenu docteur de l’UCL en sciences chimiques, avec la plus grande distinction.
En 1953, grâce aux subventions de l’Union minière du Haut-Katanga, il a créé à l’ERM, un laboratoire de recherches en chimie nucléaire, devenu à Mol le Studiecentrum voor Kernenergie et à l’ERM le laboratoire de catalyse. Au cours de sa carrière à l’ERM, il a dirigé 9 thèses doctorales, initiant ainsi un effort de recherche qui a permis en 1991-1992 l’habilitation de l’ERM à délivrer des diplômes académiques de candidat, de licencié et d’ingénieur, et puis l’insertion de l’ERM dans l’Espace européen de l’enseignement supérieur.
En 1957, il a représenté la Belgique à l’Atomic Energy Commission. Il est devenu administrateur de la Société belge de chimie nucléaire puis conseiller scientifique chez UCB jusqu’en 1986. En 1958, il est devenu président de l’Institut interuniversitaire des sciences nucléaires et délégué belge au siège de Genève.
Roger n’a pas cessé de servir l’ERM et le pays lors de son accession à l’éméritat en 1986. C’est la raison pour laquelle, en 2013, S. M. le Roi Albert II a conféré à Roger le titre de baron.
J’ai eu le privilège d’être, à partir de 1994, le conseiller juridique et financier du commandant de l’ERM et donc le trésorier ex officio de l’association des Anciens de l’ERM, sous la présidence de Roger, à laquelle il a dû renoncer en 1997, la mort de son fils l’ayant plongé dans une profonde dépression. Il en est sorti en 1999 et il a pris la présidence du Mémorial national fort de Breendonk. Il a lancé les études et les travaux de restauration du fort, ce qui nous a amené à nous revoir au cabinet du ministre de la Défense André Flahaut, dont j’étais devenu un des conseillers. Roger voulait une promesse de subside de 100 millions de francs belges, le ministre pouvait seulement formuler l’engagement moral d’octroyer un subside de 10 millions par an pendant dix ans.
Une fois le ministre sorti de la salle de réunion, Roger m’a copieusement engueulé, affirmant qu’il ne verrait pas la fin de la restauration du fort, car il serait mort bien avant la fin des dix ans. Il estimait en outre peu probable que l’engagement soit tenu par le ministre suivant, mais André Flahaut est resté à la Défense jusque fin 2007, la restauration touchait à sa fin. L’appui indéfectible que Roger a reçu pour mener à bien les études scientifiques préalables, puis la restauration, a rendu force et vigueur à notre amitié. Nous avons pris l’habitude de déjeuner ensemble 5 à 6 fois par an, à Bruxelles ou à Breendonk, jusqu’à la pandémie Covid-19.
Ce qui avait été sa prison est devenu petit à petit un lieu essentiel de transmission de la mémoire, de lutte contre les courants totalitaires, extrémistes et fondamentalistes. La recherche scientifique a rendu les prisonniers du fort immortels en publiant leur photo et leur parcours et pour certains leur témoignage. Roger a guidé dans ce sinistre fort d’innombrables personnes, dont beaucoup de jeunes de toutes origines, avec un talent inimitable parce qu’il exprimait son vécu, pour leur faire percevoir nos valeurs humanistes et la supériorité de la démocratie. Il a formé de nombreux guides un peu plus jeunes que lui, dont moi, pour assurer la relève.
Lorsqu’en juillet 2003 le Ministre Flahaut m’a nommé directeur de l’enseignement académique de l’ERM, pour insérer celle-ci dans l’Espace européen de l’enseignement supérieur et dans l’Espace européen de la recherche, Roger m’a appuyé de ses conseils avisés. Il a pesé de toute son autorité morale auprès du personnel académique, pour qu’il s’engage à mes côtés dans ce projet.
En 2008, Roger m’a aidé à formuler mon projet de thèse de doctorat; le 7 septembre 2015, il a assisté avec Esther, son épouse, à ma soutenance, ils sont assis au troisième rang à droite.
Le 12 novembre 2015, Roger faisait partie des 14 membres fondateurs de l’association internationale sans but lucratif (AISBL) de droit belge “Société européenne de défense” (S€D), qui groupe des citoyens européens qui n’hésitent pas à donner de leur temps et de leurs moyens pour relancer l’Europe politique et l’Europe de la défense, afin que les nouvelles générations d’Européens bénéficient elles aussi de la paix qui prévaut depuis 1945.
Roger, devenu président de la RUSRA, m’a demandé en 2014 d’en devenir membre, administrateur et président de la section Région de “Bruxelles-Capitale”. La RUSRA a pour objet et pour but un devoir de mémoire envers les Agents de renseignement et d’action, défenseurs de la liberté et de la démocratie. Elle constitue une force citoyenne au service de l’unité du pays et d’une saine démocratie, dans le cadre de l’Union européenne.
Roger a soutenu la S€D et la RUSRA-RBC jusqu’au bout, financièrement mais aussi en participant chaque fois que possible aux activités le plus souvent communes. Constatant que la RUSRA et la S€D ont établi, dès 2015 un lien entre leurs sites web respectifs; estimant qu’aucun gouvernement européen n’a de solution à nos problèmes actuels, que l’Europe doit pouvoir compter sur un outil militaire efficace et efficient, qu’il est nécessaire qu’une Union plus volontaire et solidaire voie le jour, qu’un premier noyau d’États membres devrait se fédérer au sein des États-Unis d’Europe (EUE), Roger a signé avec moi, le 9 mars 2017, une convention établissant des pistes de coopération entre la RUSRA et la S€D.
Cher Roger, depuis quelques jours, ton clavier et ta souris ne nous transmettent plus tes messages, tu as déposé ton téléphone portable, je ne recevrai donc plus d’appel pour me dire “je t’ai envoyé un mail il y a une demi-heure, tu ne m’as pas encore répondu”, puis ajoutant “Je te sais très occupé, mais tu sais que je n’ai plus beaucoup de temps à perdre”.
Cher Roger, tu as pleinement vécu ce siècle, tu as fait beaucoup de bien, tu nous as apporté énormément sur le plan humain, repose en paix mon ami. Nombreux sont ceux qui maintiendront vivace ton esprit de résistance.
Nous devrons attendre la fin des mesures de confinement pour qu’une cérémonie d’hommage puisse être organisée. Les funérailles auront lieu dans la stricte intimité familiale limitée à 15 personnes. Faire-part Décès de Roger Coekelbergs, figure du renseignement et de Breendonk.
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